Interview exclusive de Catherine COPPIN, professionnelle du CNRHR La Pépinière depuis 1998… !

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Non sans émotion, nous avons fêté fin janvier le départ en retraite de Catherine COPPIN. Présente dès la création du centre, elle s’est rapidement spécialisée dans la question de la déficience visuelle associée aux TSA. En 24 ans de carrière au centre de ressources, elle a aidé un très grand nombre de personnes, de familles, de professionnels, d’établissements médico-sociaux. 


Peux-tu nous présenter ton parcours ?

J’ai commencé à travailler dans la protection de l’enfance en tant qu’éducatrice spécialisée après l’obtention de mon diplôme. J’y suis restée 5 ans. J’ai arrêté pour prendre une année sabbatique pour voyager. Après, je suis rentrée à l’IJA de Lille durant 3 ans, puis à l’IME La Pépinière[1] à partir de 1994 pendant 4 ans. J’ai intégré le Centre Nationale de Ressources Handicaps Rares La Pépinière dès l’ouverture en 1998, comme documentaliste à temps partiel et ensuite à temps plein en 2004 comme conseillère technique.

Comment est arrivée cette spécialité sur les publics TSA ?

En arrivant à l’IME La Pépinière, j’avais acquis une double expérience dans le social et dans la déficience visuelle et mon regard avait changé à l’issue de mon voyage. Je ne pouvais pas repartir là où j’étais restée, car j’étais différente.

Arrivée chez « les grands » à l’IME, très vite, dans le fonctionnement, se sont démarqués des enfants qui ne correspondaient à rien de ce qui était proposé, avec des gros troubles de comportement, des grosses crises, personne ne savait quoi leur proposer.

A l’époque, il y avait un fonctionnement par atelier avec des activités proposées. Mais il restait tout le temps les mêmes enfants, pour qui personne ne savait vraiment quoi faire. Arrivée la dernière, je me suis naturellement occupée d’eux. Et je me suis dit, mais qu’est-ce qu’on pourrait bien leur proposer ?

Qu’est-ce qui les rassemble ? Pourquoi ne sont-ils pas dans les autres ateliers comme les autres ? Petit à petit j’ai analysé sur le terrain leurs comportements et il s’est avéré qu’il y avait des similitudes. Je me suis beaucoup documentée sur les troubles autistiques et ma direction m’a envoyé en formation.

Cela m’a aidé à comprendre les particularités des personnes avec autisme sauf que les jeunes accueillis à l’IME sont aveugles… Et que tout ce qui est proposé aux autistes est basé sur la force des autistes : la vision. Donc toutes les aides visuelles contribuent énormément à l’accompagnement des personnes autistes. La question était donc, nous, comment allons-nous faire pour ceux qui ne voient pas ?

Pourtant leur comportement sont les mêmes donc la structuration et l’aide à la communication concrète, etc. ça ne peut que les aider. Mais il fallait tout transférer à la cécité. C’est comme ça que tout a commencé.

Le directeur m’a demandé de monter mon projet, j’ai créé la « salle Argos ». On accueillait les enfants qui présentaient les mêmes caractéristiques pour les rassembler en leur proposant quelque chose qui se basait sur la méthode TEACCH adaptée à la cécité (structuration, système de travail, chaque endroit à un sens propre, etc.) Et cela a fonctionné.

A l’époque on s’est rassemblés avec deux autres collègues, moi chez les grands, une chez les moyens et une autre chez les petits pour faire fonctionner la salle avec les enfants issus des deux services moyens – grands. Les petits ont à dû attendre, cela n’a pas été simple avec le médecin psychiatre de l’époque qui n’était pas favorable à ces méthodes. On a dû montrer que cela fonctionnait. Après 1 ou 2 ans, s’est présenté un petit qui posait de gros problèmes d’accompagnement pour lequel personne n’y arrivait. Et là le psychiatre a dit « on n’y arrive pas, ils n’y arriveront pas, s’ils veulent essayer ils essayent ». On a accompagné ce petit et le résultat a été probant. Cette salle a permis aux enfants avec des TSA et en cécité d’être accompagnés de manière adaptée.

Cette spécialité TSA a été une évidence quand je suis arrivée au CNRHR et qu’il a fallu s’occuper de ces enfants. J’ai continué à me former aux TSA, en transférant tout le temps à la déficience visuelle et la cécité.

Pourrais-tu nous évoquer une situation particulièrement marquante au CNRHR ? 

Toutes les situations ont été marquantes. Quand on dit enfants porteurs de TSA et déficients visuels, on intervient auprès d’enfants souvent très démunis, des familles qui n’ont pas eu de réponse, d’écoute depuis longtemps et on doit essayer de faire changer les choses. Émotionnellement c’est toujours très compliqué. Très difficile à recevoir, beaucoup sont dans la souffrance de ne pas comprendre leur enfant, il faut gérer l’émotion et le fait qu’en tant que centre ressources on travaille avec eux mais de manière ponctuelle.  Il faut réussir à sentir si la famille et les professionnels qui espèrent des améliorations s’emparent des conseils et qu’ils ne retombent pas plus en difficulté après notre visite. Je trouve que c’est le côté le plus compliqué du travail, il faut vraiment s’assurer que ça va être repris et qu’il y aura un relai. C’est pour ça que très vite j’ai proposé des formations actions pour aider les équipes à s’approprier la méthode et que je reste avec eux un peu plus longtemps pour mettre en pratique une ou deux idées.

Et un projet marquant ?  

La création du TEATSA [2] avec ma collègue Laurence BRUCHET. Ça s’est fait au fur et à mesure. A chaque intervention il fallait évaluer. Moi j’étais formée aux enfants TSA voyants mais les premiers signes sur lesquels on s’appuie pour diagnostiquer sont très visuels. Par exemple, généralement, si on pointe du doigt, l’enfant regarde, un enfant TSA ne le fait pas, on l’appelle il ne se tourne pas. Il n’y a pas cette attention conjointe. Si on fait ça avec un enfant non voyant il ne le fait pas non plus. Très vite, on a donc des similitudes du côté de l’enfant aveugle et de l’enfant TSA. Et là c’est très compliqué de faire la part des choses pour savoir s’il existe bel et bien des troubles autistiques ou si les troubles sont à relier surtout à la cécité. Pour les enfants TSA avec des problèmes visuels les problématiques sont proches. Le TEATSA qui aide donc à évaluer ces jeunes, a été une aventure humaine et créatrice incroyable !

Très vite, nous avons été interpellés, pour des enfants plus jeunes qui ne peuvent pas faire tous les items du TEATSA (outil pour les + de 6 ans). Donc on revenait à un test incomplet, c’est pour ça que nous avons créé le GROJEDDAI[3] qui est quasiment finalisé.   

La boucle est bouclée ! Dans le travail du centre de ressources, je pense que l’essentiel est l’évaluation. Il est important de s’appuyer sur une évaluation la plus objective possible pour ne pas aller dans « il me semble que, je crois que ». Il faut montrer de manière très factuelle « il fait ça donc là on peut espérer qu’il peut progresser de cette façon-là ». Mon rôle était d’aider les équipes à changer leur façon de percevoir les personnes qu’ils accompagnent, sans apriori. Ce n’est pas parce qu’il se balance qu’il est autiste, c’est possible, mais ça peut être autre chose.

Quelles perspectives pour le CNRHR ?

Je souhaite les meilleures, il ne faut pas oublier cette notion d’expertise parce que l’analyse qu’on propose doit amener « un plus », on n’est pas là simplement pour échanger. Pour cela, il va falloir continuer à innover, créer des outils, à l’image du travail actuel sur l’adaptation d’échelles psychométriques[4].

Il me semble important de toujours continuer dans cette démarche de recherche et d’innovation. Chercher la lecture la plus vraie du public que l’on accompagne, quel que soit le profil, en particulier pour les personnes sans langage verbal que j’ai beaucoup accompagnées.

Il faut arriver à faire des ponts entre le terrain et la théorie et pas que de la théorie. Hormis le TEATSA, le GROJEDDAI, je n’ai rien inventé, toutes mes interventions, toutes mes propositions sont le résultat de ce que je l’ai lu et de ce que j’ai vécu. C’est ce lien-là qu’il faut garder pour faire gagner du temps aux professionnels : « Oui j’ai déjà eu cette situation, et voilà comment ça s’est passé, est-ce que vous pensez que c’est possible de mettre ça en place ici ? Ça peut fonctionner, peut-être que ça ne fonctionnera pas, mais on pourra rediscuter après ».

Je ne m’inquiète pas pour le centre ressources, les professionnels qui y travaillent sont dans cette démarche de recherche et d’innovation. Il faut juste faire attention à ne pas oublier le terrain, ne pas partir uniquement dans des sphères théoriques, mêmes dans les formations garder un lien pratico pratique qui parle tellement aux professionnels en situation d’accompagnement.

Avais-tu envie de nous dire autre chose ?

J’ai adoré mon boulot, j’ai été passionnée tout au long de ma carrière, c’est pourquoi je veux dire un grand merci à monsieur Marcel WATTEL[5] qui m’a permis de mener ces projets. Il a été un directeur qui faisait confiance à ses équipes, qui a perçu le premier – en tout cas chez moi – la capacité d’évoluer, de changer, de porter des projets. C’est lui qui m’a fait venir au centre ressources.

Après bien sûr c’est une succession de personnes avec qui j’ai pu travailler dans de très bonnes conditions (Je pense bien sûr à Dominique MATHON essentiellement mais aussi à François BUISSON et puis ces dernières années Julien ROBERT). Le centre de ressources est vraiment un projet très porteur et épanouissant. J’ai été très chanceuse de pouvoir m’épanouir professionnellement grâce à eux et à l’équipe.

Jamais je ne me suis ennuyée, ni regardé le temps ! C’est pour ça que je pars aussi contente parce que je pense que j’ai donné tout ce que j’avais à donner. J’ai envie que d’autres vivent cette expérience et il faut leur donner la possibilité de le faire car malgré moi, je prends de la place je le sens bien… C’est difficile pour moi, car dès que j’entends TSA DV je suis en alerte ! Je pars pour de nouvelles aventures mais je ne suis pas loin si les collègues ont besoin !

Un grand merci à toute l’équipe et à Julien et bonne route à tout le monde !


[1] Créé par l’ANPEA (Association Nationale des Parents d’Enfants Aveugles) l’Institut Médico-Educatif La Pépinière est né en 1974 de la volonté de parents militants de trouver des solutions d’accompagnement adaptées, pour leurs enfants déficients visuels multi handicapés.

[2] Le TEATSA® est un outil d’évaluation fonctionnelle. Il permet de recenser les compétences développementales et les caractéristiques comportementales et sensorielles des enfants et adolescents présentant une cécité associée à des troubles du spectre autistique avec ou sans diagnostic.

[3] Le GROJEDDAI est un outil d’évaluation à destination de très jeunes enfants déficients visuels et aveugles dont le développement est atypique et pour lesquels les accompagnants s’interrogent sur la présence ou non de handicaps associés difficilement évaluables par les outils existants.

[4] Le CNRHR travaille actuellement sur l’adaptation d’échelles psychométriques telles que la WPPSI-IV et le WISC-V, au champ de la déficience visuelle et de la cécité pour répondre aux besoins identifiés sur le terrain.

[5] Ancien directeur de l’IME La Pépinière ayant largement contribué à la création du CNRHR La Pépinière



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